Dorante, jeune maître désargenté, s'est fait engager, sur les conseils de son ingénieux valet Dubois, comme intendant chez Araminte dont il est éperdument amoureux. Cette jeune veuve est courtisée par le Comte qu'elle n'aime pas. Mais elle trouve séduisant le jeune Dorante qui n'ose pas lui avouer son amour. Grâce aux « fausses confidences » de Dubois, Araminte connaît les sentiments de son intendant qu'elle cherche à lui faire avouer en usant, à son tour, du stratagème de la fausse lettre adressée au Comte dans laquelle elle accepte de se marier avec lui. Après de multiples péripéties, l'amour de Dorante pour Araminte est connu de tous : elle est alors contrainte de lui demander de partir parce que le garder auprès d’elle signifierait qu’elle accepte cet amour.
Extrait de l'acte III, scène 12
DORANTE, plaintivement. — De tout le reste de ma vie, que je vais passer loin de vous, je n'aurais plus que ce seul jour qui m'en serait précieux.
ARAMINTE. — Il n'y a pas moyen, Dorante ; il faut se quitter. On sait que vous m'aimez, et on croirait que je n'en suis pas fâchée.
DORANTE. — Hélas, madame ! que je vais être à plaindre !
ARAMINTE. — Ah ! allez, Dorante ; chacun a ses chagrins.
DORANTE. — J'ai tout perdu ! J'avais un portrait et je ne l'ai plus.
ARAMINTE. — À quoi vous sert de l'avoir ? vous savez peindre.
DORANTE. — Je ne pourrai de longtemps m’en dédommager. D’ailleurs, celui-ci m’aurait été bien cher ! Il a été entre vos mains, madame.
ARAMINTE. — Mais vous n’êtes pas raisonnable.
DORANTE. — Ah ! madame, je vais être éloigné de vous. Vous serez assez vengée ; n’ajoutez rien à ma douleur.
ARAMINTE. — Vous donner mon portrait !
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songez-vous que ce serait avouer que je vous aime ?
DORANTE. — Que vous m'aimez, madame ! Quelle idée ! qui pourrait se l'imaginer ?
ARAMINTE, d'un ton vif et naïf. — Et voilà pourtant ce qui m'arrive.
DORANTE, se jetant à ses genoux. — Je me meurs !
ARAMINTE. — Je ne sais plus où je suis : modérez votre joie ; levez-vous, Dorante.
DORANTE, se lève, et tendrement. — Je ne la mérite pas, cette joie me transporte, je ne la mérite pas, madame. Vous allez me l'ôter ; mais n'importe ; il faut que vous soyez instruite.
ARAMINTE, étonnée. — Comment ! que voulez-vous dire ?
DORANTE. — Dans tout ce qui s'est passé chez vous, il n'y a rien de vrai que ma passion, qui est infinie, et que le portrait que j'ai fait. Tous les incidents qui sont arrivés partent de l'industrie d'un domestique qui savait mon amour, qui m'en plaint, qui, par le charme de l'espérance, du plaisir de vous voir, m'a, pour ainsi dire, forcé de consentir à son stratagème ; il voulait me faire valoir auprès de vous. Voilà, madame, ce que mon respect, mon amour et mon caractère ne me permettent pas de vous cacher. J'aime encore mieux regretter votre tendresse que de la devoir à l'artifice qui me l'a acquise. J'aime mieux votre haine que le remords d'avoir trompé ce que j'adore.
ARAMINTE, le regardant quelque temps sans parler. — Si j'apprenais cela d'un autre que de vous, je vous haïrais, sans doute ; mais l'aveu que vous m'en faites vous-même dans un moment comme celui-ci, change tout. Ce trait de sincérité me charme, me paraît incroyable, et vous êtes le plus honnête homme du monde. Après tout, puisque vous m'aimez véritablement, ce que vous avez fait pour gagner mon cœur n'est point blâmable. Il est permis à un amant de chercher les moyens de plaire, et on doit lui pardonner lorsqu'il a réussi.
DORANTE. — Quoi ! la charmante Araminte daigne me justifier !
ARAMINTE. — Voici le Comte avec ma mère, ne dites mot, et laissez-moi parler.
Marivaux, Les Fausses Confidences, 1737
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